Carte blanche Usbek & Rica et Libération

Transition écologique

La dernière rencontre de la 5e édition de Solutions solidaires placée sous le thème de l’écologie solidaire a réuni Paul Magnette, Bourgmestre de Charleroi, président du Parti socialiste belge et auteur de La vie large (La Découverte, 2022) et Timothée Duverger, Maître de conférences associé à Sciences Po Bordeaux et directeur de la Chaire Territoires de l’économie sociale et solidaire (TerrESS), auteur de L'économie sociale et solidaire (La Découverte, 2023). Extraits des échanges.

Dans le dernier livre de Paul Magnette, une phrase de Jaurès apparaît en exergue :

« Nous ne sommes pas des ascètes, il nous faut la vie large ».

À l’époque où la bourgeoisie reprochait à Jaurès et aux socialistes de vouloir imposer à tout le monde un mode de vie ascétique, fait de restrictions : ce fut la réponse de Jaurès.

En effet, il faut rendre la transition climatique désirable : l’accès à l’alimentation de qualité, la relocalisation de l’agriculture, la rénovation des passoires thermiques, les cantines scolaires, la régénération des espaces verts… autant de changements qui donnent envie. Cependant, la transition climatique est aussi une question de justice sociale et de volonté politique : les moins riches sont les moins responsables du changement climatique mais souvent les premières victimes. Il serait temps de récupérer les bénéfices et de les redistribuer. Si, en France l’impôt sur la fortune a été supprimé, il serait temps aussi de rétablir l’impôt européen pour financer la transition climatique. Paul Magnette explique :

« Cette phrase de Jaurès fait écho au débat actuel sur l’écologie punitive, porteuse de restrictions, de rigueur, de renoncements. La réponse habile de Jaurès est une manière de dire que la transition n’est pas un renoncement, au contraire, c’est une manière d’essayer de mieux vivre. Il faut changer, mais pas forcément renoncer. Je ne suis pas fan de l’expression de « décroissance », je préfère parler d’alter croissance, comme on parle d’alter mondialisation : c’est-à-dire l’ouverture des cultures les unes aux autres, la tolérance, la compréhension, la solidarité internationale, le fait de considérer la terre comme patrimoine partagé. On peut ainsi vouloir une forme de croissance dans le soin à l’environnement, le soin à la personne. Certaines choses doivent décroître et d’autres croître. C’est une autre croissance. »

Timothée Duverger ajoute :

« Il faut changer de paradigme, sortir de l’idée croissance/décroissance. On peut construire de nouveaux indicateurs, aller vers une économie humano-centrée qui développe l’éducation, la santé, toutes les fonctions de l’Etat social, jusqu’ici curatif, et le repositionner dans une dynamique de prévention. Avec l’idée qu’on développe les personnes, la société… et ça, ça doit croître ! »

Comment financer ces services publics, cet État social, ce modèle ?

Paul Magnette continue  :

« Quand on a investi massivement dans l’instruction laïque, gratuite et obligatoire, personne ne s’est posé la question de savoir combien ça allait coûter. C’était une évidence morale qu’il fallait investir dans les lumières publiques, et que le paysan ou l’ouvrier puisse, lui aussi, aller à l’école. Quand, au lendemain de la seconde guerre mondiale, on a commencé à construire notre système public de santé, personne n’a posé la question de savoir qui allait payer… On a ainsi financé l’école et la santé et c’est le financement de l’école et de la santé qui a permis la croissance, qui a permis de quadrupler la prospérité du pays, en l’espace de trois générations.

Dans ce débat sur la croissance et l’abondance, il y a eu l’idée qu’à un moment on allait atteindre un niveau de richesse qui devait permettre de répondre à tous les besoins humains fondamentaux, une idée selon laquelle les pays seraient suffisamment riches pour arrêter de vouloir produire toujours plus. Cet état, on y est arrivé. Quand on prend la prospérité globale telle qu’elle est produite aujourd’hui, nous sommes devenus assez riches, si nous le voulions, pour répondre à tous les besoins humains fondamentaux, et donc cesser de croître, et le financer - par la même occasion. »

Timothée Duverger poursuit :

« Cela pose une question de justice sociale. La question écologique est d’abord une question de justice sociale. Aujourd’hui, face aux crises, il faut protéger la société et les états interviennent massivement. Il n’y aura d’écologie que si elle est accompagnée socialement.

Prenons le revenu de base porté par le Département de la Gironde et un collectif d’une vingtaine d’autres qui voulaient l’expérimenter. Cette proposition de loi est arrivée à l’Assemblée Nationale en janvier 2019 c’est-à-dire en plein conflit des gilets jaunes, la matrice de cette tension, de ce conflit très fort entre une transition écologique (voire fiscale : taxe sur l’essence mise en place par le gouvernement) et la question sociale. On est au cœur du sujet. C’est une question de répartition.»

Chacun d’eux s’accorde à dire qu’il faut poser la question de l’équité et de la distribution primaire des revenus.